D’un séjour de trois semaines à New York, plutôt que les habituelles « trumperies », je préfère retenir deux beaux exemples de liberté. Pas plus critique d’art que de cinéma, je me permets de partager quelques réflexions personnelles inspirées par deux découvertes en ces domaines.
Le premier est le film Can you ever forgive me ? Parce que sa (géniale) actrice principale est Melissa McCarthy, il sera sans doute classé « comédie » – c’en est une, et c’est beaucoup plus que cela. Racontant l’histoire de la célèbre faussaire américaine Lee Israel qui, pour survivre à une carrière en panne et payer les factures, tapait sur de vieilles machines à écrire des lettres de stars littéraires de l’époque, comme Dorothy Parker ou l’auteur de théâtre Noel Coward (elle alla jusqu’à écrire une lettre de Marlene Dietrich), la réalisatrice Marielle Heller (je ne connaissais pas) donne un film transgenre – si j’ose, car ses protagonistes sont homosexuels l’un et l’autre : ils développent une amitié fortement alcoolisée (un classique) et leurs répliques ( à la hauteur de Melissa se situe son partenaire, l’excellentissime Richard E. Grant) donnent le contour émouvant de l’amitié entre deux solitaires à la dérive. Le film n’est encore diffusé que dans quelques salles à New York mais – oscarisation ou pas – nul doute qu’il ne vive une vie plus épanouie dans les mois à venir.
Dans un autre registre, l’exposition des dessins d’Eugène Delacroix au Met offre un exemple de liberté artistique qui pourrait inspirer beaucoup d’intégristes de « l’art véritable ». Je m’attendais à voir des chevaux et il y en a – comme il y a des Arabes montés sur chameaux ou bien assis, en costumes de couleurs, fumant le narguilé. Mais ces séries shakespeariennes, inspirées par Hamlet ou Othello (trois minuscules aquarelles, à l’entrée de l’exposition), mais ces caricatures qui ne le cèdent en rien à celles de Daumier ! A côté des dessins préparatoires de célèbres tableaux, l’on voit les essais d’un artiste de 20 ans qui copie sans relâche les maîtres qu’il admire avant de croquer d’un trait, comme un dessinateur de presse, les figures grotesques d’un débat parlementaire. Il n’est pas l’un « ou » l’autre, il est l’un et l’autre, comme en témoigne ce petit chef d’oeuvre où, à côté d’une lionne couchée flotte le profil d’Ingres, rival de Delacroix qui, quoique libre à sa façon, ne se fût pas aventuré à ces fantaisies-là.
Comme il est bon de constater parfois que prendre l’art au sérieux n’oblige pas à renoncer à la liberté et à se prendre au sérieux.
Références :
Can you ever forgive me, film de Marielle Heller tiré du livre éponyme de Lee Israel avec Melissa McCarthy et Richard E. Grant. Produit par Anne Carey, à qui l’on devait aussi, entre autres, l’excellent et inclassable Mr. Holmes. Sortie française ?
Les dessins de Delacroix : exposition au Metropolitan Museum of Art de New York, jusqu’au 6 janvier 2019.