Si M. Philippe, Premier ministre zélé, obéit à son boss en précisant les conditions du déconfinement, il commence par nous rappeler qu’il ne s’agît que du début de la fin – réalité dont, étant nés, nous devrions avoir conscience car, comme c’est écrit dans le Tripitaka bouddhiste (pas de Titicaca, idiot !) : « les agrégats sont impermanents : étant nés, il doivent disparaître. Leur cessation est agréable ».
Pendant cette période qui n’est pas terminée – bons citoyens, rappelons-le, les turbulences de tous ordres générées par « un tout petit machin » ont pu nous faire oublier à quel point tout était normal : nos gouvernants éclairés par la sagesse (nous avons un président-philosophe, à la différence de ces pauvres Américains qui ont élu un escroc bonimenteur de foire), la science et le souci du bonheur du peuple, ont pris dans des circonstances difficiles les bonnes décisions pour nous protéger ; pendant ce temps leurs opposants soulignaient leur impéritie, leur manque de courage et leur incapacité à prendre les véritables décisions d’intérêt national.
Est-il nouveau que faute de masques ( qu’ils aient été détruits, perdus, volés ou pas commandés à temps), l’annonce de l’arrivée imminente, massive, des masques en tienne lieu ? Est-il nouveau que leur absence persistante soit un « scandale d’Etat masquant (c’est le cas de le dire) incompétences en chaîne, bureaucratie inutile, casse sociale corruption? Est-il nouveau que l’ultra-libéralisme à la sauce mondialisée, déjà à l’origine de la pandémie, tente de profiter du malheur du peuple pour l’asservir un peu plus ? Non !
Nouveauté nous avons, plus profonde et que j’ai observée à la télévision, écoutée à la radio et décelée sur mon téléphone potable : dans des temps anciens, en 2019, les entreprises faisaient de la réclame pour nous vendre leurs produits. Maintenant, banques, assurances, supermarchés, marques automobiles, paient pour nous être utiles, nous aider – notamment à devenir meilleurs. Avant et après le journal télévisé, les spots s’enchaînent pour un méga-show humanitaire au milieu duquel l’écran pour les Restos du Coeur apparaît légèrement gnangnan. Loin, très loin, à Séoul, Osaka et Beijing, à San Francisco et Seattle, et même à Levallois et Issy les Moulineaux, des êtres bienveillants ont entendu l’appel des églises, des philanthropes et philosophes, et des activistes humanitaires du monde entier, et décidé de dépenser leur agent rudement gagné à vendre des nourritures bourrées d’OGM, des voitures polluantes et des téléphones qui explosent en vol ou nous grillent les neurones par centaines de millions, afin de contribuer à rien moins que le triomphe du bien sur la terre jusque dans ses recoins.
J’avoue que depuis l’époque où M. Séguéla faisait oeuvre pionnière prêchant que la pub était la forme moderne de l’information, j’avais conservé un certain scepticisme sur son rôle social. Assez de ces vieilles lunes gauchisantes ! La pub, mon frère, gagnée par la vague mondiale de l’écologie humaniste, veut contribuer au bien individuel et collectif : sauver les femmes et enfants battus, nous garantir de l’équitabilité suprême de tout ce que nous consommons – et en prime lutter contre le réchauffement climatique. Mes bien chers frères, mes bien chères soeurs, si vous voulez, vous aussi, contribuer à l’avènement de l’universel et éternel bien, quelques gestes simples : allez chez Leclerc ou Carrefour, dont vous applaudirez la caissière, achetez une voiture électrique, le dernier portable Huapplesung, mangez de la viande française, n’oubliez pas les gestes-barrière : no bisous, éternuez dans votre coude et lavez-vous les mains. Et surtout pas d’angoisse : nous n’en sommes qu’au début de la fin – soyez patients, on n’est pas sortis de l’auberge, surtout qu’elle n’a pas encore rouvert ses portes et moi j’ai encore 1000 pages des Mémoires d’outre-tombe à lire, sans coupures publicitaires.