« Il fait beau, allons au cimetière » – c’était, je crois, l’invite de sa mère au jeune Emmanuel Berl qui y voit le signe d’envoi d’une vie comme menée à l’envers de la vie. Ces jeunes enfants qui jouent entre deux allées, ces femmes grises qui commencent chaque journée à arroser une tombe, ces passants qui se joignent au cortège pour la mise au tombeau d’un inconnu – tous font le choix de vivre à l’ombre des morts. Au début, ça peut ressembler à un film de vampires, où l’on crie pour mieux rire de ses peurs ; à la fin, on n’est plus que le tremblement de deux lèvres (en écrivant les mots, j’ai soudain vu les lèvres de ma grand-mère embrassant son chapelet) qui évoquent en mots inaudibles la trace de ceux qui sont passés et reviennent, inlassablement, fantômes acharnés à la tâche.
N’empêche, à chaque fois que je passe par Fontvieille, je vais voir la tombe de mon père et j’enlève ma casquette.
En passant le long des tombes des autres, je regarde les roses en porcelaine, les « à notre amie », les « regrets », je glisse sur toutes ces déclarations d’amour, de l’épouse pour l’époux, des enfants pour les parents, etc. et je me dis que si le monde des vivants était peuplé d’autant d’amour, le Royaume de Dieu serait déjà sur terre ; y vivre nous dispenserait d’y croire.
Je reste quelques instants dans ma conversation silencieuse, appréciant que nul crucifix, nul moulin, nul glorieux monument au mort n’ornent le caveau de famille. L’idée d’y reposer un jour est… reposante… comme l’envie de se laisser glisser dans le monde de ma grand-mère, où il n’était rien, aucun chagrin, qu’une confession et une messe ne soient susceptibles d’effacer. Même la mort : le Seigneur a donné, le Seigneur a repris.
Je veux bien y passer, et c’est une façon comme un autre d’éveiller la complicité que je finis par avoir avec mon père, mais je ne veux pas y vivre avant mon temps.
S’il fait beau, le plus souvent, je marche vers la lumière des collines.