Surveillé jusqu’ à la fin du régime communiste, Bulgarie, jusque dans sa propre famille, à cause d’une broutille de jeunesse, Vesko n’a pas été un opposant héroïque, ni un créateur génial étouffé par l’oppression. Le paradoxe est que si cet homme modeste et timide nous laisse quelque chose , c’est grâce à cet épisode qui a gâché sa vie et l’a ébranlé jusque dans le « château-fort de son âme », l’intimité ; « l’homme surveillé » est une chronique sobre et sans plainte de la destruction d’une intimité et, à ce titre, c’est un grand document qui, sous une forme légèrement abrégée (comme les gens qui en ont gros sur le cœur, Vesko avait l’impression que couper quelques pages de son récit faisait courir le risque d‘une amputation majeure), mérite d’entrer dans les classiques modernes de la littérature sur le totalitarisme… sans emphase ni hurlements, c’est un livre qui déchire le cœur avec une douceur durablement terrible. Il n’a pas eu tout à fait l’effet que son auteur, à l’entendre, en attendait : celui du début d’une vengeance contre tous les auteurs encore en vie de ces crimes contre l’individu ; en Bulgarie, comme en Russie ou en Chine demain, les kapos communistes se reconvertissent superbement en capitalistes efficaces et modernes ; si le cynisme sans fond n’était attaché qu’à une idéologie, ça se saurait… non, Vesko, vérité et punition n’ont jamais lieu, pas plus peut-être que le plus modeste « vérité et réconciliation »… Mais des livres comme celui-ci, rares, précieux, ils ont eu lieu et méritent de continuer à avoir lieu dans le cœur de ceux qui ont la chance un peu effrayante de les lire…
Vesko Branev, « L’homme surveillé » (éditions Albin Michel)