Un homme n’ayant ni bras ni jambe se voit demander sa carte d’invalidité par un contrôleur de la SNCF ; des voyageurs témoins s’indignent : Philippe Croizon poste un tweet plus amusé qu’indigné et les réseaux sociaux s’enflamment. La SNCF présente ses excuses et l’on suppose que l’histoire s’arrête là. Quelque chose dans ces excuses mérite toutefois qu’on s’y attarde. La SNCF explique en effet qu’il était dans le rôle du contrôleur de vérifier si l’accompagnatrice de M. Croizon (sa maman) bénéficiait de la gratuité (invalidité à 100%) ou seulement des 50% de réduction attribués aux accompagnants des invalides à 80%.
Il y a ici, pour commencer, un manque de bon sens affligeant de la part du contrôleur : qu’on me demande ma carte à moi, qui ai deux bras et deux jambes, même si je me déplace difficilement, c’est tout à fait normal – mais à un polyhandicapé en fauteuil roulant privé de ses quatre membres, faut-il être docteur en médecine pour conclure qu’il est invalide à 100% ? Révélateur aussi – surprise ! – la SNCF craint plus ses syndicats que les associations de handicapés : critiquer ou sanctionner un contrôleur pour imbécillité aggravée, c’est prendre le risque de troubles sociaux : au lieu de considérer avec l’humour de M. Croizon que, sans doute, ce « monsieur a eu une mauvaise journée, peut-être il est fatigué » le débat sera porté sur les cadences infernales, les horaires impossibles, la nature et les conditions de la mission des contrôleurs – et leurs primes.
J’ajoute qu’il y a plus d’une contradiction dans la politique de la SNCF vis-à-vis des handicapés : gratuité pour les 100% et leurs accompagnants, pas de réduction pour les 80% et 50% pour leurs accompagnants ; assistance efficace et gratuite en gare (mieux qu’en Allemagne où ce soin est laissé à des associations caritatives). En cas de grève et d’annulation de trains (j’ai pu le constater lors des grèves de 2016), nulle priorité pour les titulaires de la carte d’invalidité : les premières places disponibles sur le premier train seront pour les plus rapides.
Les vraies excuses de la SNCF à M. Croizon (avec qui, dit-il, « en général ça se passe super bien ») ne seraient pas une sanction contre le malheureux qui suivait sans discernement la procédure, mais une véritable réflexion sur sa politique d’ensemble vis à vis des handicapés : il risque de les attendre longtemps, car on n’est pas prêt de nous voir bloquer les voies et les gares : handicapés en fauteuils roulants, hémiplégiques mes frères et soeurs, tétraplégiques mes cousins/cousines…