CHARLIE, NON MERCI

13 décembre 2021

Ayant raté Hara-Kiri parce que trop jeune (« Bal tragique à Colombey : un mort », en 1970, c’était couillu), j’ai été Charlie pendant quelques années de ma jeunesse. Je n’aimais pas tout Charlie, mais entre la férocité tragique de Reiser, le déjantage de Cabu et la tendresse rebelle de Cavanna, je me retrouvais chez moi – et je passais sur le machisme gros rouge de l’innommable professeur Choron. Macho pour macho, Wolinski, c’était pas 100 % féministe, mais il passait quelque chose de tendre dans son obsession des culs et des nichons.

Est-ce Charlie qui a changé ou moi qui ai vieilli ? Je n’en suis plus.

Je ne pense pas que M. Zemmour, et Mmes Pécresse et Le Pen déchaînent une fatwa facho contre le dessin de la Une de cette semaine – nul Erdogan là-dedans, en tout cas pour l’instant – et pourvou que ça doure. Point commun avec les trop célèbres caricatures du Prophète et celles du repoussant lider maximo turc, la faiblesse et la vulgarité du dessin. À croire que pour se redonner de la vigueur, les pilotes d’un Charlie en perte de vigueur ingèrent des doses massives d’une sorte de Viagra intellectuel, dont la composition chimique (provocatil simplex sildénafil, antimiliaril 50 mg, antifafil 100 mg, islamil 250 mg) ne suffit pas à améliorer durablement l’érectilité de ventes faiblissantes.

Ce n’est pas parce que je n’aime pas ça que je trouve en quoi que ce soit normal que des furieux plus ou moins fanatisés ou plus ou moins consciemment manipulés expriment leur désaccord en y posant des bombes ou en dézinguant les coupables supposés d’offenses commises ou supposées.

Ces crimes, pour atroces et inexcusables qu’ils soient, ne font pas des Zola modernes de MM. Val et Biard, pas plus que la mort tragique de M. Charb ne lui confère le génie de Reiser. Ils ne constituent pas une raison suffisante pour que ce qu’est devenu Charlie soit le symbole de la liberté d’expression. Privé de son génie créatif et sevré de lecteurs (d’après mon ami Ouiqui, 10 000 environ avant les attentats de novembre 2015), Charlie se mourait dans l’indifférence, lorsque ceux qui prétendaient le tuer ont prolongé sa vie.

J’ai souvent une pensée pour Georges Wolinski, ami de mon père avec qui il partageait le parrainage d’un illustre bad boy de la place du Forum d’Arles, le talentueux dessinateur Jean-Pierre Autheman, décédé cette année ; d’après des témoignages, ce doux obsédé sexuel de Wolin ne se retrouvait pas dans la virulence obsessionnelle des provocations antimusulmanes du journal ; il fut l’un des premiers à tomber sous les balles des frères Kouachi. Cela ne fait pas des tenants de la ligne ultra-laïciste provocatrice des coupables méritant le châtiment d’Allah. Tous – les pour, les contre et les passants – sont des victimes, sans aucun doute ; les présenter comme des martyrs de la cause de la liberté, c’est nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Je laisse aux lecteurs du Charlie actuel la lecture de leur hebdo chéri, mais je leur demande d’éviter de me mettre la Une sous la gueule au bistrot quand je bois peinard mon deuxième ristretto, car pour moi, Charlie c’est thanks, but no, thanks. Non merci.

P.-S. Une lectrice attentive m’a signalé une erreur dans mon post précédent. Tout en approuvant la tonalité et la teneur générale de mon argument sur ce dévoiement du beau mot d’audace, elle regrette que ma crédibilité auprès de mes millions (I’m not making this up, it’s ze Ouèbe, bébi !) de follohoueurs et follohoueuses fanatiques puisse être ébréchée par cette bourde. Dans la première version du texte, celle qui avait été envoyée à mes fidèles abonnné(e)s, j’écrivais en effet que le groupe Editis publiait M. Zemmour. Minute, papillon ! Le groupe filiale de Vivendi, actionné par M. Bolloré, ne fait que diffuser M. Zemmour.  Ma lectrice a raison de m’alerter.Il m’est difficile, me réclamant de Tzvetan Todorov et de Germaine Tillion, d’admettre que j’ai négligé un de leurs adages : en démocratie, le respect de la vérité des faits n’est pas un luxe ni une nuance ou un plus relatif et subjectif, mais une nécessité de base, une condition de son exercice. Je me suis trompé, de bonne foi certes – et je n’étais pas loin de la vérité – mais je me suis trompé – et le plus simple, sans battre ma coulpe et m’infliger la pénitence d’aller à genoux offrir mon cou au pédégé -, est de le reconnaître et de me promettre d’être plus vigilant à l’avenir. En attendant, l’erreur est corrigée, mes remerciements adressés à ma fidèle lectrice, Mme Pernelle Parvati Cromwell, et mes excuses officiellement présentées à mes fidèles abonné(e)s, ainsi qu’à MM. Zemmour et Bolloré, êtres sensibles dont j’ai pu heurter les sentiments.