Qu’il aborde des sujets intimes ou politiques, Marco Bellocchio me semble toujours traiter d’affaires de famille. Plus ou moins affectueuses, plus ou moins dysfonctionnelles, reliées par le sang des ancêtres, celui du crime, des idées, de la politique, de la religion ou du business, elles sont le creuset de toutes les luttes, le tombeau de tous les secrets, la prison d’où l’on s’échappe ou le lieu de la communion des coeurs.
La force unique de son cinéma, c’est de traiter chaque famille comme la sienne propre, sans mépris ni jugement, avec une tendresse inquiète. Même lorsqu’il porte son regard sur l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, c’est la famille de ce dernier qui est scrutée, femme et enfants bien sûr mais aussi famille politique, la Démocratie chrétienne ; de l’autre côté, les jeunes kidnappeurs des Brigades rouges ne sont pas des « monstres » mais les enfants perdus d’une famille impossible où tout le monde parle en même temps et où personne ne s’entend. Il en était de même dans son superbe film Le Traître, où la famille Cosa Nostra se déchirait. Idem dans deux étonnantes et surprenantes adaptations littéraires : celles du Diable au corps de Radiguet et celle du Prince de Hombourg de Kleist, où le très bel Andrea Di Sefano ne joue pas la version ritale d’un Gérard Philipe d’occasion.
Sa famille à lui l’a, semble-t-il, directement inspiré pour un bon nombre de ses fictions, jusqu’à un documentaire magnifique d’émotion et d’honnêteté où l’on voit les vrais Bellocchio évoquer le souvenir du frère jumeau disparu de Marco, Camillo.
Références
Je n’ai pas vu tous ses films et je ne me prends pas pour un « bellocchiologue » mais je peux recommander quelques-uns de mes favoris à mes chers follohoueurs et non moins chères follohoueuses.
La série Esterno notte, récemment diffusée sur Arte, est épatante du premier au sixième épisode et prouve qu’il n’avait pas épuisé le sujet Moro, déjà abordé dans son également excellent Buongiorno, notte.
Le Traître (2019), ci-dessus cité, me rappelle le magnifique Mafioso (Alberto Lattuada, 1962) avec Alberto Sordi dans son rôle le plus surprenant ; Pierfrancesco Favino incarne avec puissance le rôle de Tommaso Buscetta, ce parrain habilement retourné par le juge Falcone et qui sans se repentir fait tomber par ses révélations toute une grande famille mafieuse.
Le visage de Roberto Herlitzka, un des acteurs fétiches de Bellocchio, est au centre de Buongiorno, notte (2003) et celui de sa geôlière, Maya Sansa, n’est pas moins marquant. On retrouve d’ailleurs cette actrice dont j’ignorais l’existence dans un film qui vaut bien mieux que la controverse qu’il déclencha en Italie : La Belle Endormie (2012), où rôde également la figure inquiétante de la toujours surprenante Isabelle Huppert. Last but not least, un film politique ne ressemblant à aucun autre : Vincere (2009) met en scène le jeune Mussolini avec la première femme de sa vie, Ida Dalser, dont, arrivé au pouvoir, il se débarrassa par l’internement psychiatrique. Dans des scènes irrésistibles de tragi-comédie, leur fils Benito Albino s’entraîne à imiter son père : jamais les accents grandiloquents de la clownerie meurtrière de ce dictateur d’opérette n’ont retenti avec autant de vérité que dans ces pathétiques simulacres.
Le documentaire familial sus-mentionné s’appelle Marx peut attendre.