ADIEU, MON BEL EDMOND !

14 novembre 2022

 

(Yvan Audouard, écrivain, polémiste, conteur provençal,

avec son ami de jeunesse Edmond Volponi. )

 

L’homme qui est mort cette nuit n’avait pas sa page chez mon ami Ouiqui, ce n’était pas un « monsieur », un « important », mais un modeste minot marseillais dont la superbe moustache blanche ne dissimulait pas le sourire et dont les yeux, après plus de quatre-vingt-dix ans de pratique, continuaient à s’ouvrir avec émerveillement sur le monde.

Mon père s’était auto-interdit de conduite depuis qu’il s’était endormi au volant et avait percuté un camion ; invité dans des festivals littéraires ou des signatures en Provence, lorsqu’il avait épuisé la patience de son épouse, ma mère, chroniqueuse à L’Auto-Journal et conductrice au style très (trop) sportif, il faisait appel à des chauffeurs bénévoles. Edmond fut l’un de ceux-là et leur amitié fraternelle naquit dans les longs trajets aller-retour entre Fontvieille et Fuveau ou Valensole.

Brancardier, coursier, télétypiste pour Le Provençal à Avignon, puis à Paris, Edmond était devenu chef de différentes agences du quotidien régional. Surtout, sa passion pour la photographie en avait fait le photographe historique du festival d’Avignon, créé après la guerre par Jean Vilar. Marseillais l’un et l’autre, Edmond et Yvan mon père n’étaient séparés que d’une quinzaine d’années. Descendants l’un et l’autre d’immigrés italiens, c’étaient d’authentiques « fils du peuple » qui aimaient à évoquer l’atmosphère des quartiers de leur enfance : la Belle de mai, le Panier, Saint-Mauront. Les Volponi et les Audouard s’adoptèrent mutuellement ; Edmond et sa femme Marie-Thé (« la meilleure des Nîmoises », disait mon père, pour qui « nîmois » était en général un qualificatif injurieux) venaient aussi régulièrement à Fontvieille que nous allions leur rendre visite dans leur belle maison de Villeneuve-lès-Avignon.

Ayant vu les rangs se clairsemer autour de lui, mon père presque octogénaire appela un jour Edmond et lui annonça qu’il venait de le désigner comme son « meilleur ami de jeunesse ».
Au cours des derniers mois de la vie de mon père, début 2004, j’allais lui rendre visite presque tous les jours à l’hôpital Georges Pompidou ; et tous les soirs à la même heure, le téléphone sonnait. Je n’avais pas besoin d’écouter pour savoir qui appelait, je passais donc directement l’appareil à mon père. Où qu’il soit, en France ou en Italie, Edmond appelait.

Notre amitié s’est forgée au cours de ces mois difficiles et les années suivantes n’ont fait que l’approfondir.
Il y a en nous un besoin d’admiration effrité par le spectacle quotidien des hypocrites, des menteurs, des tricheurs, sans parler des corrupteurs ou des malfaisants. Cet homme-là je l’aimais, je l’admirais aussi, pour sa bonté, sa simplicité, son humour guérisseur – toutes qualités que l’on retrouve dans ses photos.

Autodidacte complet, il avait découvert la photographie et sans jamais en étudier l’art en était devenu un maître. Qu’il s’agisse du portrait (une de ses photos de Gérard Philipe est la photo du célèbre acteur), d’un enfant à une fontaine ou d’un paysage, il savait capter l’instant décisif d’un regard, d’un mouvement ou d’une lumière.

Adolescent, il avait développé sa passion de l’opéra au « poulailler » de l’opéra de Marseille, loin des mélomanes délicats, parmi les « populaires » qui hurlent leur enthousiasme ou leur fureur.

Il y a deux soirs, dans sa chambre d’hôpital où se relayaient ses filles et son amie Françoise, Claudia lui a fait écouter quelques-uns de ses airs favoris. Il ne parlait plus depuis quelques jours, mais le sourire s’est esquissé et les yeux ont brillé ; la bougie a été soufflée dans la nuit. Pour moi, pour nous, sa lumière brille toujours.

Adieu et merci pour tout, mon bel Edmond ; adieu, petit, comme tu l’as écrit, « tu t’es bien régalé ».

 

Edmond Volponi (1928-2022)

Référence : Edmond m’a gentiment enguirlandé un jour parce que je n’avais pas lu Beaumarchais,  son auteur fétiche, dont il avait découvert la langue via Rossini, car à l’époque,  à  l’opéra de Marseille, les récitatifs du Barbier de Séville étaient dits en français.